L’art, dans toute sa splendeur, est souvent une quête de sens et une exploration de l’inconnu. Pour l’artiste plasticien Richard Laté Lawson-Body, cette quête s’est transformée en une démarche fascinante vers le quantique, une exploration de l’infini à travers l’art. Une quête spirituelle et intellectuelle qui repousse les frontières de la compréhension humaine. L’histoire de l’art au Togo est indissociable de la figure emblématique de Paul Ahyi (1930-2010), qui symbolise à la fois un point de départ, une rupture significative, et une référence incontournable. Cependant, si l’on examine chronologiquement l’évolution de l’art au Togo, on peut distinguer trois périodes : avant l’ère de Paul Ahyi, correspondant à la période antérieure à 1960, puis les années où Paul Ahyi exerçait son influence, et enfin, l’ère post-Paul Ahyi. En ce qui concerne la formation et le parcours des artistes plasticiens togolais, trois catégories se dessinent : ceux ayant eu le privilège de fréquenter les Beaux-arts, ceux ayant acquis leur métier auprès d’amateurs ou de professionnels confirmés, et enfin, les autodidactes, tels que Richard Laté Lawson-Body, qui, au fil des années, ont développé leur talent de manière diverse et ont bénéficié d’une variété de formes de soutien et de conseils.
L’artiste
Richard Laté Lawson-body, né en 1986 à Lomé, est un artiste polyvalent qui a su très tôt combiner études académiques avec sa passion pour les arts plastiques. Durant son enfance passée à Nyékonakpoè , un quartier dynamique de Lomé , réputé pour ses artistes et son attrait touristique, il développa un intérêt précoce pour l’art, suivi d’une formation en calligraphie qui éveilla sa sensibilité pour le dessin et l’expression artistique. À l’âge de 11 ans, il décrocha son premier diplôme artistique, un certificat de fin d’apprentissage en calligraphie. Son parcours artistique se construisit à travers des recherches personnelles et des rencontres avec des artistes renommés tels que Sokey Edorh. Il parvint à équilibrer sa passion artistique avec ses études, obtenant une Licence en gestion à l’université de Lomé. Par la suite, il se réinscrivit pour une formation au sein d’une des meilleures imprimeries du Togo, où il découvrit les possibilités offertes par l’utilisation des couleurs et les techniques graphiques avancées. Il explore le concept de « tutoiement des infinis » à travers ses créations, cherchant à capturer l’infini dans chaque œuvre. Richard Laté Lawson-body a participé à des manifestations artistiques internationales et ses œuvres font partie de collections d’art de renom à travers le monde. Il a récemment été lauréat du Fonds d’Aide à la Culture du Togo.
Son travail artistique
Richard Laté Lawson-Body explore diverses formes d’art, dont le dessin, la peinture, la calligraphie et l’art numérique. Il est particulièrement reconnu pour ses peintures abstraites qui se caractérisent par l’utilisation d’une variété de couleurs juxtaposées, plutôt que des mélanges de teintes. Son travail se concentre sur le cycle de vie de la matière, en mettant en avant la vibration des objets en décomposition. Il s’oriente vers l’exploration microscopique pour créer des images qui semblent initialement imperceptibles à l’œil nu. Son approche artistique se distingue des thèmes conventionnels tels que la violence, le sport, la politique et la vie quotidienne, évoquant plutôt l’expressionnisme abstrait ou une forme d’expressionnisme contemporain.
Appréhender le travail de Richard Laté s’avère complexe, car il est à la fois dense et souvent surprenant de manière positive. Cependant, il est courant de noter qu’il commence souvent par une abstraction profonde pour progressivement évoluer vers une forme de figuratif. Il aborde avec aisance les éléments minéraux, animaux et végétaux pour en extraire leur essence et révéler leur nature intrinsèque. L’artiste travaille au niveau du sol et privilégie l’utilisation de ses doigts, qu’il plonge directement dans la matière colorée. Au fil de ses recherches, il a élaboré un concept artistique qu’il nomme « décomposition ou recomposition », en explorant les décharges publiques et les dépotoirs pour observer le processus de fin de vie des organismes organiques. Il explique cette démarche en ces termes : « Mon intérêt se porte sur les questions de pollution, d’exploitation excessive de la nature par l’homme et la manière dont elle se manifeste à travers les moisissures, ces taches verdâtres que l’on trouve fréquemment dans des environnements humides à travers le monde. Mes œuvres, riches en couleurs, produisent des effets visuels captivants. Auparavant, j’ai exploré les problématiques liées à la pollution affectant la vie aquatique et les fonds marins. La nature nous offre régulièrement des spectacles exceptionnels. Les éléments issus de la décomposition des déchets solides que nous générons finissent par se recomposer en des organismes utiles, comme en témoignent le biogaz et la pénicilline, pour ne citer que quelques exemples. Dans l’ensemble de mes recherches, la quête de l’inconnu, en particulier de nouvelles couleurs, a toujours été mon moteur créatif principal. »
Son travail rejoint en quelque sorte cette comparaison de Pablo Picasso : « Dieu est un artiste. Il a inventé la girafe, l’éléphant et la fourmi. En vérité, il n’a jamais cherché à se donner un style, il a simplement fait tout ce qu’il avait envie de faire. »
Véritable maître des couleurs et des formes, il développe depuis un moment un travail sur l’espace de vie et la démographie galopante dans le monde.
Ses « Vues panoramiques », nous présentent des environnements colorés présentés avec son grand recul d’artiste. « Triplicité du quotidien », est l’une de ses œuvres majeures, une symbolique de la vie déclinée en d’innombrables trilogies. Cette œuvre exceptionnelle illustre élégamment la couverture d’un récent ouvrage, « À feu nu » du célèbre écrivain togolais Théo Ananissoh.
Le tutoiement des infinis:
Richard Laté Lawson-Body explore des dimensions variées afin de dévoiler la connexion entre l’invisible et le tangible. Ses œuvres présentent une flexibilité remarquable. Il accorde une place privilégiée à l’énigmatique et à l’inconnu. Dans la plupart de ses créations, on observe une coexistence d’ombres profondes et de lumières éclatantes. Il souligne l’importance de la dualité entre la lumière et l’obscurité, une notion universelle en esthétique. Selon lui, il est nécessaire de traverser l’ombre pour appréhender, percevoir et créer dans la lumière, soulignant ainsi l’indissociabilité de ces deux forces. Il admet également que la perfection demeure un idéal hors de portée pour l’homme.
Ses récentes œuvres de grande envergure commencent par sembler abstraites. Cependant, à mesure que l’on explore cette magnifique palette chromatique, des images évocatrices de scènes de la vie africaine se révèlent, créant ainsi un effet de labyrinthe visuel. On ne peut qu’adhérer à la vision d’André Maurois, qui souligne que « une œuvre d’art ne présente pas une vérité préconçue, elle incarne une vérité vécue. »
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de visiter son ancien atelier et d’apprécier ses créations, que j’ai trouvées considérablement améliorées par rapport à ses débuts lorsqu’il explorait le concept microbiologique de décomposition. Progressivement, son art s’est distingué par une liberté totale et une subtile maîtrise des couleurs et des textures, résultat d’un travail conscient et approfondi.
Il s’est enrichi en observant attentivement la scène artistique internationale et en se documentant assidûment. Avec le temps, son travail a considérablement évolué, et il a acquis une notoriété remarquable au sein de la communauté des artistes africains. Il a été invité à participer à des événements internationaux tels que la Biennale de Dakar et ses œuvres sont désormais intégrées dans des collections prestigieuses à travers plusieurs pays, le tout en l’espace de quelques années seulement.
En 2019, Richard Laté a fait la connaissance d’Igor Bertrand, un artiste plasticien français dont le travail captivant explore les liens entre la peinture et la photographie dans le contexte de la physique quantique. Le mouvement artistique d’Igor Bertrand, appelé « expressionisme quantique », a suscité l’intérêt de Richard Laté. Cette rencontre a abouti à une résidence artistique entre les deux artistes, qui s’est déroulée à Bohou, un village du nord du Togo. Cette collaboration a été rendue possible grâce au soutien de Guenael et Alain Fassier, deux galeristes français, ainsi que de Thierry Awesso, un directeur de société togolais.
Au cours des dernières années, l’artiste a vu son talent s’affirmer lors de participations à des expositions collectives aux côtés de figures notables telles que Barhélémy Toguo et Siriki Ky.
Le domaine de l’art contemporain est particulièrement dynamique et hautement concurrentiel. Dans les nations africaines, il est essentiel que l’art soit reconnu comme une véritable valeur et un métier à part entière. Le défi réside dans l’instauration d’un cadre juridique qui permette aux artistes de se libérer des contraintes. Pour se distinguer dans ce milieu exigeant, les artistes doivent se démarquer par leur créativité et leur audace. Jean-François Billeter, dans son ouvrage Un paradigme, nous rappelle que les grands artistes nous guident dans la compréhension de la façon dont les mondes que nous percevons prennent forme en nous. Ils nous invitent dans l’atelier où notre perception du visible se construit. C’est le défi que tout artiste s’efforce de relever, et Richard Laté n’y fait pas exception.
Adama AYIKOUE,
Critique d’art.