Le cinéma est un procédé permettant d’enregistrer et de projeter des images animées. L’histoire du cinéma au Togo a commencé avec « Les ombres chinoises » et « La lanterne magique ». Les cinéphiles comparaient ce cinéma aux ombres chinoises que créent sur les murs les lampions à huile (à dominance jaune) avec lesquels, à l’époque, on s’éclairait la nuit. Puis, les projections payantes ont suivi entre 1927 et 1928, communément appelé « Kpèlèbè cinéma ». C’était du cinéma muet en provenance de la Gold Coast (actuel Ghana). Depuis ce temps, jusqu’aux années 80, le cinéma a connu une évolution caractérisée par une vingtaine de salles de cinéma sur toute l’étendue du territoire. Figure emblématique du secteur, Jacques Do Kokou est le premier cinéaste togolais à propulser le 7ème art du Togo sur le devant de la scène internationale. Il a voulu être le témoin de son temps à travers sa production cinématographique et ses photographies. Il produit par passion, par ambition et par désir de s’exprimer en faisant regarder le Togo en particulier, le monde en général à travers l’œil d’une caméra. Dans l’écosystème du cinéma au Togo, nous pouvons citer des événements cinématographiques comme l’Emergence festival films (Lomé) ; le Festival de cinéma grand public du Togo (Lomé) ; le Salon de cinéma au féminin (Lomé) ; le Festival boom Kpalimé ; la Rencontre cinématographique des techniciens du Togo (RECIT Kpalimé) ; le Festival de cinéma des 7 collines ( Atakpamé) ; le Festival des arts et films de Sokodé ; le Festival de cinéma des monts Kabyè (FECIMONKA), Kara ; le Festival International du Film des Savanes (FIFSAV) et le Festival international de film du Togo, FIFTO (Lomé). Avant de rendre un hommage mérité au cinéaste Jacques DO KOKOU, intéressons nous d’abord au FIFTO qui vient de fermer ses rideaux le mois de juillet et août 2024 dernier.
Le Festival International du Film du Togo (FIFTO)
Le Festival International du Film du Togo (FIFTO) puise ses origines dans la Semaine Nationale du Cinéma Togolais (SNCT), une initiative lancée en 2016 avec pour objectif principal de promouvoir et développer le 7e art togolais. Initialement dédiée au cinéma national, la SNCT a évolué au fil des années, atteignant son apogée lors de sa 7e édition en 2023, marquée par l’ouverture à l’international et l’honneur d’accueillir la République du Niger. Cette expérience internationale a été couronnée de succès, constituant également une source d’enrichissement pour les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, créant des liens culturels et favorisant des échanges fructueux entre les cinéastes togolais et leurs homologues des différents pays invités depuis lors. De plus, face à l’élan dynamique impulsé à propos par le gouvernement togolais dans le secteur cinématographique, la nécessité d’une évolution était évidente. Ainsi, à la suite de consultations approfondies au sein de la filière, la SNCT s’est transformée, adoptant une nouvelle dénomination désormais emblématique : le Festival International du Film du Togo (FIFTO) en 2023. Le FIFTO se positionne comme un tremplin incontournable pour propulser le cinéma togolais sur la scène mondiale. Cette évolution vise à rendre l’industrie cinématographique togolaise plus visible et compétitive à l’échelle internationale, offrant ainsi des opportunités exceptionnelles de collaboration, de reconnaissance et d’épanouissement aux cinéastes et professionnels du secteur.
Ses objectifs et le développement de projets cinématographiques
Le FIFTO a eu pour objectif de former trente (30) professionnels du cinéma et de l’audiovisuel en scénarisation, réalisation et techniques de montage, renforçant ainsi les compétences et l’expertise au sein de l’industrie cinématographique togolaise.
L’objectif était également d’organiser trois (3) « pitchs » de projets de films de fiction, documentaires et d’animation, attribuant des prix aux trois projets retenus dans chaque catégorie, stimulant ainsi la création et la concrétisation de nouvelles œuvres cinématographiques. Le festival a organisé, sur une période de neuf (9) jours, un marché international du film, invitant six (6) producteurs, six (6) distributeurs et six (6) réalisateurs professionnels pour des rencontres et des échanges, favorisant ainsi les partenariats et les opportunités d’affaires à l’échelle internationale.
Le FIFTO a organisé un concours international de film long métrage, mettant en lumière les productions cinématographiques de qualité à l’échelle internationale. Il a été aussi question d’organiser un concours national de film court métrage, encourageant la créativité et le talent des cinéastes togolais.
Le festival a organisé trois (3) masters class professionnels, offrant aux participants l’opportunité d’acquérir des connaissances approfondies auprès d’experts de renommés, contribuant ainsi au perfectionnement des compétences professionnelles au sein de l’industrie cinématographique.
Le thème de l’édition 2024 et ses innovations
Il s’agit d’un thème central qui reflète les aspirations et la vision pour le futur : « Cinéma togolais : de l’industrialisation à la professionnalisation« . Ce sont entre autres des projections de films, des ateliers de formation, des master classes, des panels de discussion et des conférences, conçus pour offrir des opportunités d’apprentissage, de réseautage et de collaboration à tous les participants. Ont été rassemblés des experts, des professionnels et des passionnés de cinéma pour partager leurs expériences et leurs savoir-faire, afin de contribuer à la croissance et à la professionnalisation de l’industrie cinématographique. Aux réalisateurs, producteurs, acteurs, techniciens, critiques de cinéma et autres professionnels, le FIFTO a été un espace de rencontre, de partage et de créativité.
Cette orientation stratégique vise à propulser le cinéma local vers de nouveaux sommets en mettant l’accent sur deux axes majeurs : le renforcement de l’industrie cinématographique togolaise et l’élévation du professionnalisme dans le secteur. Un choix qui témoigne de l’engagement du FIFTO à façonner un avenir dynamique et prometteur pour le cinéma togolais, offrant une plateforme unique pour célébrer la créativité et la croissance de cette industrie. Ce choix du thème reflète l’engagement du FIFTO, qui est un catalyseur de changement, propulsant ainsi le cinéma togolais vers de nouveaux enjeux. En explorant la transition de l’industrialisation à la professionnalisation, le festival aspire à façonner un avenir prometteur pour le cinéma togolais, stimulant ainsi l’émergence de talents locaux et l’épanouissement d’une industrie cinématographique pérenne. L’édition 2024 du FIFTO a été comme une étape cruciale dans l’évolution du cinéma togolais, offrant une plateforme unique pour célébrer, discuter et promouvoir l’évolution dynamique du cinéma togolais dans le contexte global de l’industrie cinématographique.
Les innovations au cours de cette édition ont été l’ouverture internationale des concours ; l’organisation d’un cours de pitchs, la création d’un concours pour les films d’école et d’atelier ; l’organisation d’une conférence inaugurale portant sur le thème général de l’édition.
La Côte d’Ivoire, le pays invité
La Côte d’Ivoire, empreinte d’une diversité culturelle riche et fascinante, se distingue comme le choix idéal pour être le pays invité d’honneur de l’édition 2024 du Festival International du Film du Togo (FIFTO). L’industrie cinématographique ivoirienne, en constante émergence, incarne une créativité vibrante et une profonde réflexion sur les dynamiques sociales et culturelles du pays. Les réalisateurs ivoiriens ont su captiver les spectateurs en explorant les complexités de la société, tissant un dialogue entre les traditions ancestrales et les réalités contemporaines. La sélection de la Côte d’Ivoire comme pays invité d’honneur offre une opportunité unique de mettre en lumière la diversité cinématographique de cette Nation. Ce choix a élargi les horizons du public du FIFTO en présentant des œuvres qui pourraient être moins connues dans la région, renforçant ainsi les hospitaliers et légendaires échanges culturels et artistiques entre le Togo et la Côte d’Ivoire. Au-delà de son rôle clé dans l’industrie cinématographique, la Côte d’Ivoire apporte une dimension particulière à cette édition du FIFTO, mettant en avant son rôle dynamique dans le panorama culturel africain. La célébration de la créativité cinématographique ivoirienne a contribué indéniablement à l’attractivité et à la visibilité internationale du festival, renforçant ainsi son statut en tant que rendez-vous cinématographique majeur sur le continent africain.
Le FIFTO 2024 reste une plateforme unique qui offre une opportunité exceptionnelle pour les
cinéastes togolais et internationaux de se rencontrer, d’échanger et de partager leurs
expériences. C’est également un moment privilégié pour découvrir des œuvres inédites,
participer à des ateliers enrichissants et assister à des débats stimulants comme avec le pionnier du cinéma togolais, Jacques DO KOKOU à qui nous rendons un hommage.
Les atouts du cocon familial et des influences subies par Jacques Do Kokou
Jacques DO KOKOU ne rêve, dès son plus jeune âge, que de la photographie et du cinéma depuis le jour où il a assisté avec sa grande sœur à une projection de film dans la seule salle de cinéma dans les années 50 dans l’enceinte de l’actuel Hôtel du Golfe à Lomé. L’environnement familial aidant, ce rêve deviendra une réalité grâce au soutien multiforme de son père et l’appui logistique de son frère aîné qui possédait déjà à l’époque un appareil photographique et une caméra. Il témoigne : « Je suis arrivé au cinéma par curiosité parce que j’ai été attiré très tôt par la magie des images à travers les séances de projections de diapositives, de films de 8mm que mon grand frère étudiant en France dans le temps organisait pour la famille pour nous montrer le patrimoine bâti et urbain de Paris à travers ses sites et monuments historiques, Noël sur les champs Elysées…etc., quand il revient pour les vacances au pays ».
En 1972, Jacques DO KOKOU était le seul Togolais à participer au premier festival du cinéma amateur organisé par le Centre culturel français (CCF) de Lomé avec un court métrage de 15 minutes en 8 mm couleur intitulé « 27 avril ». Il s’agit d’un documentaire sur la commémoration de la date anniversaire de l’indépendance du Togo en 1960. Ce film est un moyen pour le cinéaste d’exprimer son identité et surtout de pouvoir donner la mesure de son expression. Le cinéaste nous éclaire : « J’ai eu deux mentors dans le cinéma. Il s’agit de Sembene Ousmane du Sénégal qui m’a donné l’envie de devenir cinéaste et de Moustapha Alassane du Niger qui m’a accompagné dans ma production. Ces deux personnes m’ont ouvert la route du cinéma. »
En matière de reconnaissance on pourra attribuer à Do Kokou les confessions suivantes d’Albert Camus : « Sans cette main affectueuse que vous avez tendue au pauvre petit enfant que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été et êtes toujours pour moi et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez l’un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. »
De la révélation à la notoriété internationale
Motivé et galvanisé par ce premier succès, deux ans plus tard, en 1974, Do Kokou réalise un premier moyen métrage « Kouami ou l’exode malversé » en couleur format 16 mm. C’est l’histoire de Kouami, un jeune certifié venu faire fortune dans la capitale, Lomé et qui s’y retrouve mendiant et solitaire. Le scénariste met en exergue les difficultés de l’exode rural : l’intégration, l’exclusion et l’incompréhension des autres.
Ce film est projeté à Paris en février 1975. Grâce à cette projection en France, il a été identifié sur le plan international. A ce titre, il a participé alors, pour la plupart comme réalisateur ou membre du jury, aux festivals de Moscou, de Tachkent en URSS, de Montréal au Canada, de Ouagadougou au Burkina Faso, de Bamako au Mali, de Dakar au Sénégal, de Cotonou et de Ouidah au Bénin et… de Cannes en France.
En septembre 1974, grâce à une bourse du ministère français de la coopération, il a suivi, à Paris en France et jusqu’en 1978, une formation en cinéma et en montage de film au sein de la section technique du cinéma au département des actions culturelles de ce même ministère. C’est au retour de cette formation qu’il a été engagé au Togo, par le service du cinéma et des actualités audiovisuelles (CINEATO) comme réalisateur et photographe. En septembre 1999, il avait été affecté à la télévision togolaise (TVT). Toujours à la recherche de la qualité et de la perfection, il a participé aux stages de formation, que ce soit ceux du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade de France, du Goethe Institut de Lomé ou de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). C’est encore guidé par cet esprit de créativité et cette volonté de savoir qu’il s’est inscrit pour se faire former en perfectionnement et écriture de scénario à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à Bry-sur-Marne en France, puis à la formation pour la scénarisation des séries télévisuelles à Ouagadougou au Burkina Faso.
Jacques DO KOKOU au service de la photographie et du cinéma sur le terrain au Togo
Pour mieux enraciner ses aspirations, avec des amis préoccupés par la promotion et le développement du 7ème art au Togo, Jacques DO KOKOU a mis en place en 1996, l’Association pour la promotion de la culture des arts et des loisirs (APCAL). L’objectif est de renforcer les capacités des professionnels, d’encourager la jeunesse togolaise à s’investir dans ce domaine, d’inciter les opérateurs économiques à découvrir les réelles opportunités liées aux industries culturelles et créatives dans ce secteur et celui de la photographie C’est dans le prolongement de ces ambitions qu’il a créé en juillet 2002 le Cinéma itinérant du Togo (CIT) dans la droite ligne de Sembene Ousmane qui pensait que le cinéma, était une école du soir qui est ouverte à toute la population la nuit sur la place publique. Il s’agit du dispositif par lequel, le cinéma sort de Lomé pour se rendre dans les villes, les villages, les hameaux de l’intérieur du pays pour offrir du loisir aux populations excentrées mais aussi les sensibiliser à des thématiques données, ceci pour le développement socio-économique, culturel et artistique du Togo. Cette préoccupation relative au cinéma rejoint en quelque sorte l’idée que l’écrivain congolais Sony Labou Tansi s’est fait du théâtre : « En fait, ce qui compte, ce n’est pas le genre, mais les choses qu’on a à dire. J’ai toujours pensé que dans nos pays, dits pauvres, le théâtre était une solution de remplacement par rapport au livre qui coûte cher et qu’on n’a pas toujours le temps de lire. »
Ainsi, le Cinéma itinérant du Togo a parcouru plus de 1 000 quartiers, villages et cantons urbains et ruraux, avalé plus de 60 000 kilomètres de route, réuni plus de 300 000 spectateurs et formé ou initié près de 150 jeunes à au moins un des métiers du 7ème art. Au vu de l’engouement des populations et des besoins de plus en plus croissants en termes d’expérience et d’échanges, il a créé en 2006 avec l’association ACPAL, les Rencontres du cinéma et de la télévision du Togo (RECITEL) pour former bénévolement les acteurs togolais à actualiser leurs connaissances à travers les formations et pour contribuer au rayonnement du Togo dans le 7ème Art. Depuis, l’évènement a déjà connu plusieurs éditions.
« Un bon film, c’est un film dans lequel je me retrouve, qui me parle et qui me fait vibrer. Le cinéma est déjà inventé mais il continue d’évoluer surtout au niveau de la technique. Ce qui compte c’est d’arriver à raconter une histoire originale qui fait plaisir à voir à l’écran. Pour y arriver, je dirai à la jeune génération que c’est par le travail et le dépassement de soi. », disait le pionnier des cinéastes togolais au détour d’une discussion.
Toujours galvanisé Jacques DO KOKOU travaille comme photographe documentaire pour constituer l’archive visuel du patrimoine en général et de Lomé en particulier. Pour continuer de partager ses connaissances et re dynamiser la photographie un secteur artistique en déclin, Les Rencontres internationales de Photographie de Lomé ont vu le jour pour la première fois en mars 2023 grâce à ses efforts. Ses œuvres sont dans les livres scolaires, sur les premières pages des romans et sont vues dans des expositions au Togo, dans la sous-région et à travers le monde. Jacques DO KOKOU est médaillé de Bronze au Festival International de films de Tachkent.
Pour couronner la longue et riche carrière au service de la Culture au Togo et ailleurs dans le monde à travers la photographie et le cinéma, la République français lui a décerné la Médaille du Chevalier des Arts et Lettres en 2018. Jacques DO KOKOU a reçu à Lomé lors de la cérémonie d’ouverture de la 4è édition de la semaine nationale du cinéma togolais, un trophée de reconnaissance de la Nation « pour service rendu au 7è art togolais » le lundi 23 novembre 2020. Cette reconnaissance artistique est une importante distinction honorifique nationale qui vient renforcer la notoriété du cinéaste. Le trophée lui a été remis personnellement par le Ministre de la culture et du tourisme, Dr Kossi Gbényo LAMADOKOU.
Adama AYIKOUE,
Gestionnaire du Patrimoine culturel et critique d’art