La crise sanitaire au coronavirus qui a durement frappé l’humanité a pourtant eu quelques « effets positifs différents selon les pays et les mesures mises en place ». Cette pandémie a exigé des sacrifices très importants qui ont pour résultats la résilience et la résistance malgré la peur. Mais de quelle façon ? Et à quel prix ? Koffi SODOKIN, Maître de Conférences à l’Université de Lomé est l’auteur d’une étude qui conclut avec force et conviction que « en offrant une assistance financière et en soutenant les entreprises, ces politiques ont permis de réduire l’incertitude économique et de fournir une certaine stabilité financière aux ménages. Cela à contribuer à améliorer la confiance des ménages en l’avenir et leur a permis de se procurer un sentiment de sécurité économique ». Lisez plutôt !
Des politiques publiques hautement sociales et utiles contre les effets adverses du Sars-Cov-2
Koffi SODOKIN
Maître de Conférences à l’Université de Lomé
Introduction : Keynes ou le retour du concept du ‘ménage militant‘
Le concept de « ménage militant » a été introduit par l’économiste britannique John Maynard Keynes dans son livre « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » publié en 1936. Selon Keynes, les ménages peuvent jouer un rôle important dans la stabilisation de l’économie en période de récession ou de dépression. Il soutenait que les ménages sont « militants » s’ils sont prêts à modifier leurs comportements de consommation et d’épargne en réponse aux conditions économiques. L’idée est que lorsque l’économie est en récession, la demande globale peut chuter brutalement, entraînant une baisse de l’activité économique et de l’emploi. Cependant, si les ménages augmentent leur consommation et réduisent leur épargne, cela peut stimuler la demande globale et encourager les entreprises à augmenter leur production. En somme, en ne laissant personne pour compte dans les moments de grande difficulté, il est possible de préserver l’harmonie et la cohésion des peuples, tout en nourrissant l’espoir.
L’importance du rôle de l’Etat en période de très grande difficulté
La théorie économique de John Maynard Keynes soutient que l’Etat peut jouer un rôle important dans la régulation de l’économie, en particulier en période de crise économique. Selon cette théorie, lorsque l’économie est en récession ou en dépression, la demande globale peut chuter brutalement, entraînant une baisse de l’activité économique et de l’emploi. Pour relancer l’économie, Keynes préconisait une politique budgétaire expansionniste, où l’Etat dépenserait davantage pour stimuler la demande globale. Dans cette optique, l’Etat pourrait fournir de l’assistance sociale aux ménages, en distribuant des aides financières pour aider les personnes les plus vulnérables à traverser la crise économique. L’idée de Keynes était que lorsque les ménages reçoivent de l’argent de l’Etat, ils ont tendance à dépenser cet argent, ce qui stimule la demande globale. Cette hausse de la demande peut inciter les entreprises à augmenter leur production, ce qui à son tour peut stimuler l’emploi et la croissance économique. De nombreux gouvernements dans le monde ont mis en place des politiques d’assistance sociale pour aider les ménages à faire face aux conséquences économiques de la pandémie du Covid-19, en s’appuyant sur les idées de Keynes. Globalement ces politiques ont permis d’amortir les effets économiques négatifs de la pandémie et de soutenir les ménages et les entreprises pendant la crise. Cependant, elles ont également entraîné une augmentation de la dette publique dans de nombreux pays, ce qui peut poser des défis économiques à long terme.
Au Togo par exemple, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures pour aider les ménages à faire face aux conséquences économiques de la pandémie du Covid-19. Au nombre de ces mesures, on peut noter : (i) le programme de transferts monétaires pour aider les ménages les plus vulnérables, notamment les personnes âgées, les femmes enceintes et les personnes en situation de handicap. Le programme prévoit le versement d’une aide financière de 12 000 FCFA par mois à chaque bénéficiaire pendant une période de trois mois (ce programme a été dénommé Novissi). (ii) la suspension des factures d’eau et d’électricité pour les ménages les plus pauvres, pour une période de trois mois. (iii) mis en place d’un fonds de soutien aux entreprises pour aider les petites et moyennes entreprises à faire face aux conséquences économiques de la pandémie. Le fonds prévoit des prêts à des taux d’intérêt réduits et des subventions pour les entreprises qui ont été durement touchées par la crise. (iv) des mesures fiscales pour aider les entreprises à faire face à la crise, notamment des reports de paiement d’impôts et de taxes (Sodokin, 2021 ; Sodokin, 2023). Dans cette dynamique, un Fonds de riposte a été mobilisé pour une enveloppe globale de près de 400 milliards de francs CFA pour la gestion de la pandémie de Covid-19. Cette enveloppe a été utilisée pour financer diverses mesures telles que la mise en place de centres de traitement, l’achat d’équipements médicaux et de fournitures sanitaires, la distribution d’aide alimentaire, la mise en place de programmes de transferts monétaires et de soutien aux entreprises, ainsi que la sensibilisation de la population aux mesures de prévention. Le gouvernement a également bénéficié de l’aide financière de partenaires internationaux tels que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui ont apporté un soutien financier salutaire supplémentaire pour aider le Togo à faire face aux conséquences économiques de la pandémie. Ces mesures ont contribué à atténuer les effets économiques de la pandémie sur les ménages vulnérables (Sodokin, 2023) et les entreprises au Togo.
Plus explicitement, La politique mise en place par le gouvernement togolais pour faire face à la pandémie de Covid-19 a été volontariste et salutaire. Le gouvernement togolais a pris rapidement des mesures pour limiter la propagation du virus, en mettant en place des mesures de confinement, des programmes de dépistage et de suivi des contacts, ainsi qu’en renforçant les capacités des systèmes de santé. Le gouvernement a également mis en place des programmes d’assistance sociale pour aider les populations les plus vulnérables, en distribuant des aides alimentaires et en réalisant des transferts monétaires aux ménages. De plus, le gouvernement a travaillé en étroite collaboration avec ses partenaires internationaux pour mobiliser des ressources supplémentaires et renforcer les capacités de réponse à la crise. Cette volonté du gouvernement de renforcer la résilience des populations les plus vulnérables s’est traduite par la croissance significative du budget de l’Etat au cours de ces trois dernières années (tableau 1). En effet, entre 2020 et 2023, le budget de l’Etat a cru chaque année de 10,1% en moyenne avec une part importante consacrée aux secteurs sociaux de base.
Tableau 1: Togo, Evolution du Budget de l’Etat (2020-2023, milliards de francs CFA)
Source : Divers documents de budget
Le Tableau 2 présente, pour plus de précision, les indicateurs de performance de l’économie togolaise sur la période 2019-2023. On remarque en observant ce tableau que 2020 a été une année éprouvante pour l’économie togolaise. En effet, les conséquences économie du Covid-19 ont entrainé une diminution du revenu de l’Etat en raison de la contraction de l’activité et des mesures fiscales prises par le gouvernement togolais. Les dépenses publiques ont augmenté de 44,1% dans le cadre de la mise en place des filets sociaux pour contenir et atténuer les effets néfastes de la pandémie entrainant un déficit budgétaire de 6,8% contre un excédent budgétaire de 1,6% en 2019. De plus, le taux de croissance chute de 5,5% en 2019 pour s’établir 1,8% entrainant une diminution du niveau de vie (mesuré par le PIB réel par habitant) de 510729,6 Francs CFA en 2019 contre 507149,9 Francs CFA en 2020. Toutefois, au regard des politiques volontaristes mises en place et entretenues par le gouvernement togolais, le FMI reste optimiste et projette une croissance continue du PIB et du niveau de vie sous réverse d’une gestion efficiente des Finances Publiques.
Tableau 2 : Indicateurs de performance de l’économie togolaise
Source : IMF, World Economic Outlook Database, Mise à jour d’octobre 2022
Note: La dimension temporelle est l’année civile. Les projections du FMI commencent après 2020.
Une assistance sociale salutaire au regard de l’ampleur mondial d’un phénomène inconnu
En dépit des défis et des imperfections dans la gestion de la pandémie de Covid-19 en Afrique de l’Ouest, les gouvernements de la région ont mis en place des mesures pour contenir la propagation du virus et aider les populations pauvres. Par exemple, de nombreux gouvernements de la région ont mis en place des mesures de confinement pour limiter la propagation du virus, ont investi dans des équipements de protection individuelle pour les travailleurs de la santé, ont mis en place des programmes de dépistage et de suivi des contacts et ont également augmenté les capacités des systèmes de santé pour faire face à la crise. En outre, les gouvernements ont lancé des programmes d’assistance sociale pour aider les populations les plus vulnérables, notamment en réalisant des transferts monétaires, des aides alimentaires, des subventions pour les petites entreprises et des exemptions fiscales. Ces programmes ont permis d’atténuer les effets économiques de la pandémie sur les ménages et les entreprises, en particulier pour ceux qui ont perdu leur emploi ou ont vu leurs revenus diminuer en raison des mesures de confinement.
Ces mesures ont permis de limiter les effets de la pandémie et de fournir une assistance vitale aux populations les plus pauvres de la région. Il est important de noter que ces efforts ont été réalisés dans des conditions difficiles et avec des ressources limitées, ce qui témoigne de l’engagement des gouvernements de la région à lutter contre la pandémie et à aider les populations les plus vulnérables.
Des enseignements à inférer sur les modes de ‘Management’ un peu partout sur le continent Africain
De façon globale et un peu partout dans les pays Africains, des imperfections ont été relevées dans la gestion de la crise du Covid-19. De nombreux pays de la région ont des ressources budgétaires limitées pour faire face à la crise. En conséquence, ils ont dû faire des choix difficiles en matière de financement des programmes de santé et d’assistance sociale. Les systèmes de santé dans la région sont souvent sous-financés et manquent de ressources pour faire face à une pandémie de grande ampleur. La pandémie a révélé les faiblesses de ces systèmes et a mis en évidence la nécessité d’investir davantage dans la santé publique. La mise en place de programmes d’assistance sociale et de santé publique a été entravée par des difficultés logistiques et administratives. Les gouvernements ont dû faire face à des contraintes de temps et de ressources pour mettre en place ces programmes, ce qui a entraîné des retards et des problèmes d’efficacité. Dans certains pays de la région, les mesures de confinement ont été mal appliquées et ont suscité des protestations de la part de la population. Les gouvernements ont dû trouver un équilibre entre les mesures de santé publique et les besoins économiques des ménages et des entreprises. La pandémie a révélé les défis de la coordination régionale en matière de santé publique et de sécurité. Les pays de la région ont dû travailler ensemble pour lutter contre la pandémie en dépit des difficultés de coordination et de communication entre les pays. Ces imperfections ont mis en évidence la nécessité pour les gouvernements de la région de renforcer leurs systèmes de santé et leurs capacités en matière de préparation aux crises. Les partenaires internationaux peuvent également jouer un rôle important en apportant un soutien financier et technique pour aider les pays de la région à faire face aux conséquences socioéconomiques et sanitaires de la pandémie.
Conclusion : continuer de bâtir les routes et les ponts pour renforcer durablement les liens sociaux et faire face aux crises actuelles et à venir
L’intervention des gouvernements lors de la pandémie a été variée et a eu des effets positifs différents selon les pays et les mesures mises en place. En général, les mesures d’assistance sociale et les politiques budgétaires expansionnistes ainsi que les politiques fiscales accommodantes mises en place pour atténuer les effets économiques de la pandémie ont contribué à améliorer la confiance des ménages (Sodokin, 2023). En effet, en offrant une assistance financière et en soutenant les entreprises, ces politiques ont permis de réduire l’incertitude économique et de fournir une certaine stabilité financière aux ménages. Cela à contribuer à améliorer la confiance des ménages en l’avenir et leur a permis de se procurer un sentiment de sécurité économique. De plus, les mesures de santé publique mises en place pour lutter contre la pandémie, telles que les programmes de vaccination, peuvent également contribuer à améliorer la confiance des ménages en réduisant l’incertitude sanitaire. Toutefois, il est important de noter que ces effets positifs peuvent être limités si les politiques mises en place ne sont pas suffisamment efficaces ou si elles sont perçues comme étant insuffisantes ou inéquitables. Par conséquent, il est important que les gouvernements continuent à travailler à la mise en place de politiques économiques et sanitaires efficaces et durables pour renforcer la confiance des ménages et soutenir la reprise économique à long terme.
Pour finir, il faut reconnaître que la pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve la capacité de résilience des gouvernants et des gouvernés et a mis en évidence la nécessité pour les gouvernements africains de renforcer leur capacité de riposte aux chocs, tels que les pandémies, les crises économiques, les catastrophes naturelles et les crises sécuritaires. Au regard de cette expérience, les leçons sont nombreuses pour l’avenir : (i) Le renforcement des systèmes de santé : la pandémie a révélé les faiblesses des systèmes de santé dans la région. Les gouvernements devraient investir davantage dans les infrastructures de santé ainsi que dans la formation efficiente du personnel soignant et renforcer les capacités de préparation et de réponse aux crises sanitaires. (ii) L’amélioration de la coordination régionale : la pandémie a mis en évidence la nécessité d’une meilleure coordination régionale en matière de santé publique et de sécurité. Les gouvernements devraient travailler ensemble pour développer des stratégies de riposte coordonnées aux crises sanitaires. (iii) Renforcer les systèmes d’assistance sociale : La pandémie a mis en évidence la nécessité d’offrir une assistance financière et alimentaire aux populations les plus vulnérables pendant les crises économiques. Les gouvernements devraient investir davantage dans les programmes d’assistance sociale pour aider les populations les plus vulnérables à faire face aux chocs économiques. (iv) Diversifier l’économie : la pandémie a mis en évidence les risques de la dépendance économique à certains secteurs, tels que le tourisme et l’exportation de matières premières. Les gouvernements devraient travailler à diversifier l’économie pour réduire la vulnérabilité aux chocs externes. (v) Promouvoir la numérisation : la pandémie a accéléré l’adoption de technologies numériques pour le travail et l’éducation à distance. Les gouvernements devraient continuer par promouvoir la numérisation de l’économie pour améliorer la résilience aux chocs et favoriser la croissance économique à long terme. (vi) Tirer des enseignements de la pandémie de Covid-19 et préparer des plans de riposte aux crises pour l’avenir afin de mieux faire face aux chocs. Cela nécessite une planification proactive et des investissements dans les capacités de préparation et de réponse aux crises.
Références
Keynes, J. M. (1936) The General Theory of Employment, Interest and Money. London: Palgrave Macmillan.
Sodokin, K (2023) Public assistance, survival, and household trust during the containment period of the first wave of the SARS-CoV-2 pandemic in Togo. J. Soc. Econ. Dev. https://doi.org/10.1007/s40847-023-00233-4
Sodokin K (2021) Comparative analysis, cash transfers, household investment and inequality reduction in Togo. Appl Econ 53:2598–2614. https://doi.org/10.1080/00036846.2020.1863324